Le recrutement dans tous ses états...
ou "Dessinez-moi un mouton". Alain Gavand.
C'est le bouquin sur lequel j'ai dû faire ma fiche de lecture. Tu n'es pas obligé de tout lire maintenant, je voulais juste te le faire partager.
Le recrutement est, pour une entreprise, la clé de voûte de son évolution et de sa pérennité. C'est bien le service du recrutement en interne ou le cabinet de recrutement en externe qui conditionne l'avenir de l'entreprise par le choix des collaborateurs qui vont y travailler. Le recrutement, intégré à la fonction Ressources Humaines, est le sas d'entrée d'une grande partie de la collectivité vers l'entreprise. Dans un contexte de mutation – importance de plus en plus flagrante de l'économie de l'immatériel et du savoir, intégration des nouvelles technologies de l'information et de la communication, emprise financière sur la gestion des entreprises – il est primordial que les acteurs du recrutement se ré-interrogent sur les enjeux et les évolutions de leur métier pour mettre en œuvre des démarches d'adaptation au marché et aux candidats.
Nous allons nous interroger sur les finalités du métier de recruteur (aussi bien au sein de l'entreprise que dans les structures externalisées) en analysant les pratiques actuelles et en proposant une vision alternative du recrutement, où l'aspect humain prédomine.
Alain GAVAND a choisi d'utiliser l'allégorie du mouton pour expliciter sa vision du recrutement dans les pratiques d'aujourd'hui : le candidat recherché est un mouton à cinq pattes ou un mouton de Panurge . Il est un mouton dans un troupeau de moutons. Certes, la comparaison est loin d'être flatteuse mais elle a le mérite de dénoncer de manière humoristique et pertinente une réalité trop souvent ignorée.
Les deux grandes tendances du recrutement sont en effet soit à la recherche du candidat parfait en tous points pour un poste donné, soit à l'attente d'un candidat "prêt-à-l'emploi" directement opérationnel. Pourtant, en définissant les besoins réels de l'entreprise – d'une part, l'analyse du contexte économique, technique et social et d'autre part, la définition du poste à pourvoir en collaboration avec le supérieur hiérarchique et le service Ressources Humaines – on aboutit à un cahier des charges qui se veut objectif, et qui limite la partialité du recruteur. Les critères de choix sont alors déterminés par ce cahier des charges, qui est néanmoins parfois rigide et inopérant. Il ne permet pas une vision globale et dynamique des compétences et aptitudes du candidat, il fait fi de la complexité de l'individu et il ignore la dimension évolutive d'un poste à long terme. Le choix de ces critères auraient donc un autre dessein : celui de mettre fin à l'incertitude du recrutement. Cette critique est soutenue par une constatation issue de la simple lecture des annonces d'offres d'emploi : les critères d'aptitude professionnelle varient suivant les postes proposés tandis que les critères de personnalité sont toujours similaires. Combien de fois lit-on les sempiternels "sérieux, dynamique et motivé", "doté d'une bonne aisance relationnelle" ou encore "autonome, disponible et mobile"? De surcroît, la logique de troupeau est tout aussi forte pour les critères professionnels ; on ne recrute que des candidats qui ont exercé la même fonction dans le même secteur, les annonces demandent "une expérience réussie d'au moins deux ans dans le domaine de…" ou moins explicitement "expérience similaire indispensable".
D'où vient ce simplisme qui s'étend dans les pratiques de recrutement? Le marché actuel a une devise, résumant aussi bien l'activité de l'entreprise que les attentes de leurs clients : "Toujours plus, toujours mieux, toujours plus vite". Mais à maintenir ce rythme endiablé dans les pratiques de recrutement, on se heurte rapidement à deux problèmes de taille. Tout d'abord, une tendance au conformisme absolu dans le choix des candidats ; il est indispensable d'esquisser des solutions de prévention de ce mouvement pour des raisons éthiques – dans un souci de respect de la singularité des individus – et pour des raisons pratiques – avec la pénurie de compétences due au "papy boom", la référence trop rigide à un profil-type entraîne une contradiction entre taux de chômage élevé et manque de candidat. Ensuite, le management par l'excellence ; il est nécessaire de dénoncer cette logique d'adhésion du salarié à l'organisation qui lui impose d'être gagnant, d'être toujours le meilleur et d'aller au-delà de ce qu'on lui demande. La volonté de qualité totale a un coût : l'effondrement, voire la dépression profonde de certains salariés qui ne sont "pas à la hauteur" de l'organisation.
Le candidat, quant à lui, en a assez d'être pris pour un mouton ; mais, tout en mettant en avant le décalage entre la réalité du processus de recrutement et leurs attentes, ils se trouvent enfermés dans une situation paradoxale. Le candidat est-il un objet marchand qui doit se vendre et dont il doit vanter les mérites et les qualités afin d'être embauché? C'est l'optique qui prévaut dans un contexte de crise économique où le maître mot "vendez-vous" est à son apogée, par exemple dans les décennies 1980 et 1990. Ou alors le candidat est-il un client pour qui le travail est devenu un bien de consommation? Cette vision est plus récente et plus circonscrite, mais les attentes de bon nombre de candidats et leurs choix en matière d'emploi – en terme d'épanouissement personnel, de développement des compétences, de conditions matérielles de travail, d'ambiance, de rémunération, d'horaires – montrent qu'ils "font leur marché". Le travail n'est plus le seul marqueur social mais une opportunité majoritaire de réalisation de soi. Une nouvelle mentalité émerge une nouvelle éthique du candidat apparaît : il a la volonté de réussir sa vie et plus de réussir dans la vie.
En 2004, on est loin des exigences délirantes des jeunes diplômés et des ponts d'or qui leur étaient offerts par les entreprises entre 1998 et 2000 ; toutefois, les entreprises déploient toujours des trésors de séduction pour attirer, motiver mais surtout fidéliser leurs "recrues" pour éviter la fuite des talents acquis. L'approche directe permet assez souvent de débaucher du personnel qualifié en attente d'un potentiel "mieux ailleurs", mais surtout le rôle d'Internet dans la recherche d'emploi a été une révolution. Le web est une nouvelle approche relationnelle dans le recrutement : la vie du candidat est bouleversée, enrichie de mille et une possibilités de chercher, de savoir, de postuler et de se faire connaître. Il peut répondre à des annonces en temps réel ou enregistrer son curriculum vitae dans une CVthèque consultable par les entreprises et les cabinets-conseil. Internet est un formidable outil de veille permanente.
Le candidat : objet marchand ou client? Est-ce donc là la seule alternative qu'offre les pratiques du recrutement? Comment faire du candidat un sujet, une personne qui ne joue pas un rôle et plus un objet conditionné, formaté, normalisé ?
Le candidat est avant tout quelqu'un. Car recruter, c'est mettre en relation et évaluer. La pratique est davantage un art qu'une science, bien qu'elle veuille se sécuriser par des techniques plus ou moins scientifiques (graphologie, tests de personnalité et d'intelligence, assessment centers) pour éviter qu'il y ait "erreur sur la personne". Il est primordial pourtant de ne jamais perdre de vue que l'acte d'observation est difficile et sélectif : il y a déformation de ce que nous percevons par ce que nous sommes, nos valeurs, notre tournure d'esprit, nos préjugés. Cette déformation existe tout autant chez les recruteurs. Mais l'entretien de recrutement ne peut pas être réduit à un seul relevé d'informations dénué de toute composante affective. En effet, chercher un travail, c'est s'identifier ou se contre-identifier par rapport à une tradition familiale ou un discours parental. Pour Gérard MILLER, "le domaine de l'emploi touche directement à la question de savoir ce qu'on est" et "travailler, c'est travailler sur son identité" . Mais lors d'un recrutement, les dés de l'identité sont pipés : il y a un accord tacite entre recruteur et recruté sur la part d'illusion qui accompagne le rituel du recrutement. Il est presque impossible d'être soi-même lors d'un entretien ; non que les candidats mentent, ou manquent de talents, mais bien parce qu'il se situent sur le plan de la séduction pour se présenter sous leur meilleur jour, tout comme lors d'un premier rendez-vous amoureux. Le regard du recruteur, c'est le regard de l'Autre : c'est dire si l'image de soi, celle qui est, celle qui est ressentie et celle qui est perçue, est d'un importance capitale.
Le recrutement est avant tout une affaire de relations entre des individus ; mais c'est aussi un secteur d'activité, un "business" comme un autre et dont l'être humain est l'enjeu, le cœur de la transaction. Et surtout : recruter, c'est choisir et choisir, c'est exclure. Et il se fait puissamment sentir la nécessité absolue d'une éthique, cet art de diriger sa conduite. Qu'il s'agisse des critères de sélection, de la restitution des informations quant à la décision, de l'application de la norme NF mise en place par le Syntec ou d'une possible discrimination raciale, sexuelle ou liée à l'âge, le recrutement doit accorder l'humain (respect de l'autre, de la différence, recherche de la qualité) et l'économie (rentabilité, notion de service et d'exigence client). C'est une question d'éthique, parce que le candidat au recrutement n'est pas un objet à vendre, un client à satisfaire ou quelqu'un quelconque : c'est une personne à part entière. Le recrutement doit se faire à la lumière des hommes.
Voilà . Luv.
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